De l’extinction à l’extermination, le sort du bouquetin des Alpes a connu des rebondissements dignes de ceux réalisés par le seigneur de l’arc alpin. En Autriche, les chasseurs ont le privilège de gérer ce bovidé montagnard dont la valeur marchande n’a rien perdu au fil des siècles.

Depuis la nuit des temps tout en lui a inspiré le vice et la vertu, allant même jusqu’à prêter son apparence au diable qui portait son masque et ses cornes … Pourtant, à observer le grand mâle qui nous toise du haut de son piton rocheux, nous sommes bien loin d’imaginer la folie générée par ce placide paquet de muscles capable de flirter avec les parois les plus abruptes des Alpes. Nous sommes débuts octobre et c’est l’ouverture de la chasse au bouquetin dans le Land autrichien du Vorarlberg. Comme chaque année, quelques rares privilégiés qui ont souvent patienté deux ou trois ans, vont pouvoir arpenter les montagnes du pays pour y prélever entre 450 et 500 individus sur une population d’environ 5500 animaux. Inutile de préciser que ce qui est rare est cher, mais les sommes considérables dépensées par ces nemrods permettent aux paysans de montagne d’améliorer considérablement leurs revenus et partant, de trouver une raison économique à l’entretien des alpages souvent très difficiles d’accès.

Nous voilà dans la splendide vallée du Garnera nichée aux confins de l’Autriche, de la Suisse et de l’Italie, en compagnie de Stephan Tschohl, heureux locataire d’un territoire de chasse qui couvre quelques milliers d’hectares de haute montagne et où l’on trouve l’une des meilleures densités de bouquetin de l’ouest autrichien. Après ses études en France, Stephan a repris l’hôtel familial et inutile de préciser que chez lui les chasseurs sont accueillis dans les meilleures conditions. Ceci étant, comme la météo est exceptionnellement estivale en cette première semaine d’octobre, nous avons opté pour un hébergement nettement plus spartiate ; un ancien refuge de douaniers à partir duquel nous serons à pieds d’œuvre dès le lever du jour. Pour Stephan spartiate ne rime pas avec frugal et c’est chargés comme des mulets que nous grimpons vers le refuge sous un soleil de plomb, avant d’arriver aux portes de cette bâtisse marquée par les assauts de Dame nature et de pouvoir enfin apprécier le paysage à sa juste valeur. Tandis que nous déployons la longue-vue pour observer une famille de marmottes qui profite des derniers rayons du soleil, Stephan vide nos sacs à dos dans lesquels nous découvrons assez de victuailles pour nourrir un régiment de chasseurs alpins !

Finalement le soleil disparaît derrière la crête et réchauffe certainement encore le poil des animaux qui se trouvent sur le versant suisse. Comme le souligne notre hôte : « Les suisses chassent aussi le bouquetin mais n’ont pas les mêmes critères de tir que nous ». Il est vrai qu’en Autriche on ne badine pas avec le seigneur des sommets et chaque animal doit répondre à des critères très précis, surtout en termes d’âge lorsqu’il s’agit des boucs faisant l’objet de prélèvements parcimonieux afin de ne pas déséquilibrer la pyramide des âges et la structure hiérarchique de chaque noyau de population. Nous profitons des dernières lueurs du jour pour fendre quelques buches et alimenter le vieux poêle en fonte qui trône dans la cabane. L’endroit, éclairé à la bougie, offre un confort sommaire et l’on imagine facilement la vie des douaniers qui passaient leurs vies perdus là-haut, à une époque pas si lointaine où les frontières entre pays européens étaient bien plus qu’une ligne de crête parcourue par des sentiers de randonnée …

Au fur et à mesure que Stephan nous fait goûter ses spécialités locales, le mercure finit par grimper dans la pièce unique qui fait office de cuisine, de salle à manger et de chambre, et les carreaux des vitres laissent passer une clarté étrange à travers l’épaisse couche de buée qui les recouvre. Il est temps d’aller profiter du lever de pleine lune qui inonde toute la vallée d’une lumière invraisemblable. On y voit presque comme en plein jour, assez en tout cas pour repérer huit silhouettes massives accrochées dans une pente herbeuse à plus d’un kilomètre. Aucun doute, Capra ibex est au rendez-vous !

La nuit fut courte et l’air frais qui balaie nos visages en rafales de 90-100 Km/h, est le bienvenu pour nous réveiller. Les sacs à dos allégés ne servent plus qu’à porter le minimum nécessaire pour la journée et nous voilà partis en direction du versant où se trouvaient les bouquetins il y a quelques heures. Le vent de secteur sud inquiète Stephan car nos gibiers se trouvent dans le même axe et selon lui le bouquetin est bien plus sensible aux alertes olfactives que visuelles. Nous verrons bien. Trois heures plus tard, les bouquetins ne sont toujours pas repérés. L’occasion pour notre guide d’évoquer le stress provoqué par le retour des grands prédateurs qui avaient disparu de la région depuis près d’un siècle et qui opèrent un retour en force. En effet, après le lynx hôte permanent de la vallée depuis une dizaine d’années, c’est au tour du loup et plus récemment de l‘ours de revenir hanter la région. Les bouquetins, en raison de leur capacité à se réfugier dans des endroits totalement inaccessibles aux grands carnivores,  ne semblent toutefois pas trop affectés par les nouveaux arrivants aux dents longues. Il n’en est pas de même pour les chamois, les chevreuils et les cerfs qui paient un lourd tribut aux carnivores originaires pour la plupart d’Italie et de Slovénie, mais aussi de Suisse.

En début d’après-midi nous prenons place sur un piton et décidons de passer toute la montagne au peigne fin de nos jumelles, la longue-vue étant systématiquement mise à profit pour détailler la moindre forme pouvant être celle d’un bouquetin. C’est à ce prix et au bout d’une heure d’observation scrupuleuse que nous repérons enfin un groupe de mâles dont l’un semble correspondre aux critères de tir. Il nous reste environ trois heures de clarté et c’est d’un pas décidé que nous suivons Stephan qui prend soin de rester à bon vent et à couvert. Malheureusement le silence est rompu par une satanée marmotte affolée par notre présence et les ongulés se mettent immédiatement en position de surveillance, perchés sur des promontoires rocheux offrant un contrôle visuel à 360 degrés.

Il n’y a plus une seconde à perdre et déjà le bipode de la carabine est déployé. Stephan nous demande de ne pas bouger. Nous sommes à plat ventre et les yeux des bouquetins n’arrivent pas à localiser le danger. Quatre femelles suitées remontent la pente, elles aussi alertées par le cri du rongeur.

Les rafales de vent agitent les herbes et quelques chocards virevoltent dans les airs en lançant leurs cris de ralliement. Stephan ne dit toujours rien et pour cause, car le vieux mâle est derrière ses congénères. Finalement les femelles approchent du groupe de boucs et là, une belle paire de cornes commence à s’agiter pour se jeter dans les flancs des jeunes qui lui obstruent le passage. Le maître des lieux veut accueillir son harem comme il se doit et nous le voyons se profiler dans le champ de la lunette de visée.

Les secondes qui précèdent le tir semblent toujours interminables et cette fois-ci encore nous n’échappons pas à ce sentiment d’éternité. Le télémètre affiche 250 mètres, une distance qui nécessite une correction de 18 cm et du coup le réticule se pose juste en dessous de l’échine du bouc qui se cabre à l’impact de la balle en calibre .270 Win, avant de dévaler la paroi rocheuse et de finalement se coucher dans un éboulis après une fuite qui n’excède pas une cinquantaine de mètres. Stephan lance un « yodel » de joie et se précipite vers le bouquetin en bondissant de rocher en rocher. L’animal a onze ans et ses cornes sont légèrement inférieures au mètre, marquées par d’impressionnants anneaux de croissance et les traces des combats glorieux qui lui avaient permis de régner en maître sur les sommets du Garnera.

Produits utilisés

Rangefinder

Leica Geovid Pro

Lunettes de visée

Leica Magnus 1.8-12×50 i

Commenter

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *